La France en mal de logement – ÊTRE HUMAIN ! N°129

06.10.2025
8 min

Des dispositifs publics et des initiatives tentent de sauvegarder une offre de logements accessible aux plus modestes. Un palliatif nécessaire, mais fragile.

Être Humain ! N°129 - octobre 2025
Être Humain ! N°129 – octobre 2025

« Quand je me suis séparée de mon mari, mon propriétaire avec qui je m’entendais bien, m’a proposé de garder l’appartement. À cette époque, j’étais au chômage, alors 600 euros de loyer mensuel, je ne pouvais pas. J’ai fait toutes les agences, rien. J’ai appelé le 115 dans la Drôme, le Vaucluse, l’Ardèche, tout était saturé… j’ai fini dans ma voiture. Le début d’une autre vie. Je me lavais dans la rivière ; j’ai changé mon alimentation, je me nourrissais au jour le jour, puisque je ne pouvais rien conserver. Je bougeais sans arrêt pour ne pas être repérée, je n’avais plus une vie normale. J’étais devenue une sans-domicile-fixe et c’était la survie. » Sandra, ancienne assistante dentaire, évoque cette période avec émotion et enchaîne rapidement avec ce qui l’a sauvée. « Ce sont mes 2 chiens, ils m’ont protégée jour et nuit pendant ces mois épuisants… et aussi le fait de savoir que mes filles ne vivaient pas ça. »  Âgées de 22 et 29 ans, les deux étudiantes, installées avec leurs compagnons dans la région, ne pouvaient accueillir leur mère. « Et de toute façon, je n’y serais pas allée. Ce n’était pas ma place. » Aujourd’hui, Sandra est installée dans un 45 m2, à l’entrée de Joyeuse, ce petit village ardéchois qu’elle n’a jamais quitté en 3 ans. « J’ai 2 pièces, c’est coquet et j’ai une vue imprenable sur les collines. Je revis. Le propriétaire m’a fait confiance et sans l’aide de Charlotte, cela n’aurait pas été possible », précise la locataire qui a trouvé un travail à temps partiel dans la friperie du village, un mois après son installation. Charlotte Ginoux est travailleuse sociale, elle anime le Centre de Ressources Itinérants pour le Logement, un service d’accompagnement à l’accès au logement financé par le Département de l’Ardèche et la Fondation pour le Logement, au sein de l’association « Foyers de l’Oiseau Bleu ». En France, l’intermédiation locative est l’une des solutions soutenues par l’État depuis mai 1990 et la loi Besson, pour donner un toit aux ménages les plus modestes, qui sont parmi les premières victimes de la crise du logement, dont la cause principale reste la trop faible production de logements sociaux. Selon un rapport récent[1], la simple augmentation du nombre de ménages en France devrait générer un besoin de 208 000 logements par an. Or aujourd’hui, la production de logements sociaux peine à atteindre les 100 000 logements annuels, dont moins de 31 000 logements très sociaux… « En ce qui concerne l’accès au logement social, j’ai 50 % de réussite », précise Charlotte Ginoux. L’an dernier, 50 personnes, en majorité des hommes seuls, ont été accompagnés. « De plus en plus de mères isolées et de familles me sollicitent, pas seulement pour de l’accès au logement social. J’interviens beaucoup sur les habitations en centres-bourgs, souvent abimées, mal isolées… les occupants se retrouvent en difficulté pour payer leurs charges et leur loyer et le propriétaire n’a souvent pas les moyens d’assumer en totalité les travaux…c’est la spirale de l’endettement et la situation est bloquée. Ce n’est pas de l’indécence, cela reste des petits travaux de rénovation qui permettent le maintien des locataires, l’entretien du logement et qui sécurisent le propriétaire. Mais la médiation prend du temps, il faut créer le lien, convaincre… il y a souvent plusieurs problématiques, l’accompagnement doit être global. »
 
À des km de là, en Ile-de-France, 888 000 ménages attendent un logement social, dont 196 000 à Paris. Face à la rareté de l’offre locative abordable, la Ville a mis en place dès 2007, un dispositif, « Louez solidaire », qui vise à mobiliser les propriétaires du parc privé. 5000 ménages en ont bénéficié depuis sa création. « Les 9 organismes conventionnés qui travaillent avec nous payent les loyers et les ménages, locataires en titre, payent une redevance mensuelle de 25 % de leurs ressources. Notre public compte 51 % de familles monoparentales, 33 % de couples avec enfants, 16 % de personnes seules. Initialement, les occupants devaient rester jusqu’à 18 mois. Aujourd’hui, c’est 40 mois en moyenne », précise Doan Lebel, directrice du Logement et de l’Habitat, à la Ville de Paris. Pour entrer dans le dispositif, les locataires doivent accepter un accompagnement social lié au logement. « C’est fondamental et le suivi se poursuit encore pendant 3 mois, une fois les locataires partis », note Doan.

Crédit photo : Yann Levy

Faire usage de la Loi

Le dispositif parisien « Louez Solidaire » est un sas qui permet aux ménages fragilisés de pouvoir ensuite passer dans du logement pérenne. « L’an dernier, sur 281 sorties du dispositif, 265 se sont faites vers du logement Hlm. Les autres ont été orientées vers du logement d’insertion. » Du côté des propriétaires, une enquête réalisée cette année a indiqué que 4 propriétaires sur 5 étaient satisfaits. « Notre objectif, c’est de faire évoluer le dispositif pour mieux accompagner le propriétaire, pour développer notre parc car nous manquons vraiment de grands logements. » Mais un tel dispositif ne peut suffire à faciliter l’accès au logement social des plus fragiles, quand on sait que même la classe moyenne peine à se loger dans la capitale.

Pour freiner la hausse des loyers, l’État a autorisé leur encadrement par les lois Alur et Elan de 2014 et 2018. Mais il s’agit d’une expérimentation, menée à Paris dès 2019, et désormais dans près de 70 villes en France. Celle-ci doit prendre fin en novembre 2026, alors qu’elle a fait ses preuves partout où elle a été menée, sans réduire l’offre locative, comme certains l’annonçaient. À Lyon, l’encadrement fonctionne depuis 2022. « Depuis notre création, en un an, nous avons été contactés par 400 locataires. Principalement des jeunes actifs et des étudiants, c’est eux qui ont le moins de moyens et ce sont les plus petites surfaces qui sont les plus chères. Sur les remboursements, la moyenne est de 1 900 euros par personne et cela peut aller jusqu’à 10 000 euros », précise Antoine Launois, bénévole à la Brigade associative interlocataire (BAIL) qui anime des permanences mensuelles à Lyon et Villeurbanne, depuis mai 2024. Alice, 20 ans, a quitté Marseille pour ses études en Urbanisme. En colocation à Villeurbanne, elle a bénéficié de l’accompagnement de BAIL pour faire valoir ses droits. « Sans eux, je ne l’aurais pas fait. J’avais été informée par un syndicat étudiant. Je me suis installée en août 2024, on était 3. Ma chambre faisait 9 m2, je payais 530 euros, charges comprises, mais mon bail n’était pas très clair. Et puis, j’avais un complément de loyer, soi-disant pour une vue exceptionnelle et un équipement haut standing de la cuisine… » En réalité, l’appartement donnait sur une cour et dans la cuisine, Alice disposait d’un micro-ondes dont la fonction grill était inutilisable et de 2 poêles. « En plus, il y avait un gros problème avec le chauffage au gaz qui claquait tout le temps, c’était infernal et la propriétaire ne faisait rien. L’association m’a accompagnée dans la procédure de Conciliation. J’étais très stressée, j’aurais préféré une négociation à l’amiable mais mes courriers recommandés étaient restés sans réponse… Juste avant l’audience, les défenseurs de ma propriétaire m’ont pressé d’accepter un loyer à 403 euros, charges comprises, toujours au-dessus de l’encadrement. J’ai obtenu un loyer de 384 euros, charges comprises, avec un rattrapage de 1 457 euros, d’août à mai. La Commission de Conciliation a évoqué un complément de loyer injustifié et illégal car non inscrit dans le bail. Ce n’est pas juste une victoire personnelle, il s’agit de justice. »

 Et Antoine de conclure : « Notre rôle, c’est d’éviter le conflit et de privilégier la médiation pour ne pas aller jusqu’à la procédure. Dans la majorité des cas, on y arrive. Mais il faut une Loi qui nous aide à casser les mauvaises pratiques et réduire le mal-logement. Trop souvent, derrière le dépassement de loyer, on trouve des situations d’insalubrité ou de la division illégale de logements. »

[1] Rapport de la commission pour la relance durable de la construction de logements, 2021