
En France, plus de 700 accueils de jour tentent de répondre à l’urgence sociale, accueillant de manière inconditionnelle toute personne en difficulté. Un défi quotidien.
« Ce que l’on constate, c’est que toutes les structures, petites ou grandes, salariées comme bénévoles, font preuve d’un engagement total auprès de leur public. Et elles sont toutes sous-dotées humainement et financièrement », précise immédiatement Aude Tchekhoff, chargée de mission Veille sociale etHébergement, à la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). Remontons un peu dans le temps : en 1991, la Fondation pour le Logement des Défavorisés ouvre sa 1re Boutique Solidarité, à Marseille, un lieu ouvert sur la rue pour accueillir les personnes sans domicile fixe. Café, écoute, services de base tels que la domiciliation, la bagagerie, les sanitaires… le premier accueil de jour de son réseau était né, dont une définition nationale sera donnée en 2005 : « L’accueil de jour est d’abord un espace permettant d’accueillir en accès libre pendant les heures d’ouverture toute personne qui le souhaite. » Aujourd’hui, vingt ans après cette reconnaissance nationale officielle, les chiffres parlent d’eux-mêmes : on compte près de 800 accueils de jour sur le territoire national et… 350 000 personnes sans domicile fixe. « Les fréquentations sont en hausse et quasiment partout, les locaux sont trop petits et surfréquentés, d’autant plus que de nombreuses places en psychiatrie ont été fermées. À Paris notamment, il est devenu fréquent de voir des ambulances s’arrêter et déposer des personnes devant les accueils de jour. Autre constat, l’augmentation sur tout le territoire des familles avec enfants et des mères isolées, un phénomène récent, qui a commencé il y a 4 ans », ajoute Aude qui anime notamment un groupe de travail national dédié aux accueils de jour.
« J’étais à la rue avec mes 2 enfants, ils avaient 2 ans et quelques mois… j’étais perdue et ne savais pas où aller. On m’a indiqué « la Maison de la Solidarité »et là, ça a changé ma vie. J’ai été énormément aidée, on a pris soin de moi et on m’a écoutée. » Aujourd’hui, les années de galère à la rue font partie du passé d’Elodie, mère isolée de 27 ans. « Grâce à la Boutique Solidarité, je n’ai pas baissé les bras, j’ai trouvé la force de chercher un logement et un travail grâce à elle. Aujourd’hui, je travaille comme auxiliaire de vie et j’ai un logement. Mentalement, j’ai changé et je me sens enfin capable, je gagne ma vie, même si ce n’est pas facile de jongler avec les horaires et les enfants… Si je n’avais pas eu la Maison, je ne sais pas ce que je serais devenue. Ici, c’est ma grande famille et dès que je peux venir, je viens donner des nouvelles. » De novembre à mars dernier, l’équipe gennevilloise de 11 salariés et 12 bénévoles a servi 8195 petits déjeuners, permis 2580 douches, organisé 610 actions d’orientation etd’accompagnement, et quelque 356 prestations bien être et santé… au total, 550 personnes ou familles ont été accueillies, soutenues, aidées. À Auxerre, un seul accueil de jour dans le Département et 700 passages chaque mois ; à Boulogne-sur-Mer, 45 personnes accueillies chaque jour cet hiver, avec un seul salarié ; à Epinal, des fréquentations multipliées par deux ; à Grenoble, des salariés et bénévoles qui distribuent entre 500 et 800 repas par semaine lors de maraudes… « Je pense que l’État ne se rend pas compte de la situation, de ce qui se passe dans les structures. Il y a un grand manque de moyens financiers et une très forte charge mentale. La situation est très tendue. »
Défendre les droits fondamentaux
Combien de témoignages de reconnaissance entend-on dans les Boutiques Solidarité de la Fondation pour le Logement qui a accueilli 560 000 personnes dans son réseau, en 2024 ? Pourtant, année après année, la hausse de fréquentation doublée d’une complexification des démarches rend le travail des salariés et bénévoles de plus en plus ardu pour sortir le public de l’exclusion et permettre à chacun d’accéder à ses droits. Et la dématérialisation administrative, source majeure d’entrave à l’accès aux droits pour les plus démunis, reconnue par le Défenseur des Droit dès 2019, ne fait rien pour faciliter les choses, malgré la pression d’un large collectif d’associations qui plaide depuis 3 ans pour un « service public plus humain et plus ouvert ».
Juriste, Julie Clauzier soutient depuis 6 ans les équipes, partout sur le territoire. « J’interviens en distanciel, dans plus de 200 situations chaque année. Je suis là pour défendre le Droit et faire en sorte que les personnes accueillies puissent accéder à leurs droits fondamentaux, contester un refus, effectuer une démarche à l’amiable…. C’est important d’épauler les équipes salariées et bénévoles car les outils et les ressources sont devenues très complexes », précise-t-elle. À raison de 12 heures par an financées par la Fondation, une centaine de participants bénéficient de temps de formation précieux. « Je vois des structures qui ne me sollicitent plus, car elles ont désormais les ressources ; des liens se tissent également entre elles pour mutualiser les connaissances ». Récemment, la formation s’est élargie aux accueils de jour de l’île de la Réunion. Judith, éducatrice spécialisée, travaille depuis plus de 8 mois à la Boutique Solidarité de Toulouse. « Nous sommes de plus en plus confrontés à des barrières à tous les niveaux, notamment pour obtenir l’Aide Médicale d’État. Grâce aux formations, on partage les bonnes pratiques, on échange sur les difficultés rencontrées et surtout, le regard juridique nous permet de prendre de la hauteur, de ne pas rester bloqué sans solution ; c’est un vrai soutien, on n’est pas seul face au problème de la personne accueillie. Nous accueillons ici jusqu’à 100personnes par jour et j’avoue que j’apprécie beaucoup l’aide de Julie car le public vient tout autant pour les services que pour l’accès aux droits », souligne la jeune salariée. À Mantes-la-Jolie, la Fondation finance des permanences mensuelles d’accès au logement et à l’hébergement depuis plus de 2 ans, animées par l’Adil 78. Ces permanences sont les seules accessibles aux personnes à la rue sur le département. « « Quand tu es à la rue, il faut chercher à manger, où se laver, où dormir. Ce n’est pas tenable de chercher autre chose. Ce qui m’a sauvé, c’est l’association « Déclic ». On m’a tout de suite aidé pour mes papiers que j’avais perdus, mais aussi pour ma demande de logement et mon recours Dalo. »
Préserver les enfants
À « Point d’Eau », l’équipe grenobloise de 4 salariés complétée par 8 à 15 bénévoles enregistre jusqu’à 320 passages journaliers. « Depuis le Covid, le nombre d’enfants que nous accueillons double chaque année. En ce moment, ils sont 20 à 25 tous les matins, nombre d’entre eux ont moins de 3 ans. Or, nous n’avons pas d’espace dédié pour eux. Pour l’instant, grâce à notre collaboration étroite avec une autre accueil de jour grenoblois dédié aux femmes qui effectue une permanence chez nous chaque vendredi, on arrive à gérer. Mais cela reste très tendu… », avoue Richard Diot, le Directeur. Pour sortir de l’impasse, « Point d’Eau » travaille à l’ouverture d’un lieu adapté avec la PMI et la Direction Départementale de l’Emploi et des Solidarités. Objectif : assurer un soutien efficace grâce à des éducateurs et éducatrices de jeunes enfants dans un lieu calme, sûr, avec des horaires adaptés. Un défi que « Point d’Eau » compte bien relever, après l’expérience réussie du CCAS, l’hiver dernier. « Pendant 6 mois, un espace dédié aux familles a été ouvert où les enfants ont été préservés de la violence et de la misère du monde… on voit trop de choses qu’ils n’ont pas à voir à leur âge. Les enfants, ce sont des éponges. »
Face à l’augmentation et la diversité du public, de nombreux accueils de jour intègrent désormais d’anciennes personnes accueillies dans leurs équipes bénévoles. « J’ai d’abord commencé à petite échelle, avec 7 personnes à la bagagerie. Mais avec le Covid, comme nous étions la seule structure restée ouverte, elles ont été beaucoup plus nombreuses à venir accueillir le public. »En 5 ans, 220 bénévoles, anciens accueillis de « Point d’Eau » se relayent chaque semaine pour répondre aux besoins et créer du lien. « Avant tout, ils sont dans l’écoute et comme ils ont connu les mêmes épreuves que les personnes qui poussent notre porte, les confidences et la confiance naissent bien plus rapidement ; le lien social est d’autant plus fort. Il y a même des amitiés qui se forgent. » Chaque mois, les équipes salariées et bénévoles se retrouvent pour échanger. « Ce n’est pas simple, mais ça marche ! Sans ce soutien, nous ne pourrions pas accueillir tout le monde ni organiser autant de maraudes et de distributions alimentaires. Nous sommes en pleine réflexion pour laisser plus de place aux personnes à la rue et organiser une forme de tutorat, de référent, pour encadrer et répondre à toutes les demandes », ajoute Richard.
D’ici 2026, la Fondation a prévu de faire un « tour de France » des accueils de jour qu’elle soutient afin de mettre en avant le document d’analyse qu’elle a co-écrit avec toutes les personnes impliquées, conseil d’Administration, personnes accueillies, financeurs, équipes salariées et bénévoles. Un travail collectif inédit qui donne du sens et de la portée à ses valeurs de solidarité et la fraternité.
