« Face à l’État, c’est le bras de fer pour protéger les familles »

19.08.2025
4 min

Co-fondatrice du Samu social et ancienne secrétaire d’État chargée de la lutte contre la précarité, Dominique Versini est en charge des droits de l’enfant et de la protection de l’enfance à la Mairie de Paris depuis 2014. 

Comment mettre fin à l’errance des familles avec enfants, notamment des enfants en bas âge de plus en plus nombreux à la rue ? 

C’est une question prioritaire pour moi depuis longtemps, d’autant plus que la situation s’est aggravée depuis 2 ans. Il faut rappeler que le logement et l’hébergement sont deux compétences de l’État. Sauf 2 exceptions : les femmes enceintes et les mères isolées avec des enfants de moins de 3 ans, qui relèvent de la protection de l’enfance et donc du département. A Paris, nous avons assumé avec Anne Hidalgo cette responsabilité dès 2014, et de manière élargie, avec le Pacte parisien de lutte contre la grande exclusion, que nous avons conclu en 2015 avec l’ensemble des acteurs institutionnels et associatifs. Dans le cadre de ce pacte, nous avons mis à disposition des associations qui luttent contre l’exclusion à nos côtés, 40 bâtiments municipaux dans lesquels des centaines de familles ont été mises à l’abri et accompagnées. Parallèlement, nous avons acheté et réhabilité des immeubles pour produire du logement social et très social dans tous les arrondissements parisiens. Aujourd’hui à Paris, 25 % de logements sont accessibles aux plus modestes. Nous avons pour objectif d’atteindre 30 % en 2035 avec un impératif : ne laisser aucun bâtiment vide dans Paris.  

Le 115 est débordé tous les soirs à Paris et l’hébergement d’urgence est saturé… Quelles doivent être les priorités de l’État pour répondre à l’urgence sociale ? 

Nous arrivons à une situation inacceptable, que je n’aurais jamais imaginée quand j’ai créé le Samu social en 1993 avec Xavier Emmanuelli : le tri des familles. Depuis 2 ans, en effet, le 115 accepte prioritairement les familles avec enfants de moins de 3 mois et les femmes enceintes de plus de 8 mois. Ces consignes sont données par l’État, principal financeur du Samu social qui se voit donc dans l’obligation de les appliquer. Aujourd’hui, un enfant qui dort à la rue avec ses parents n’est plus une priorité ! Il est vraiment urgent de mettre en place une politique sociale et solidaire et de régulariser un maximum de familles qui n’ont rien à faire dans les hébergements d’urgence (majoritairement des chambres d’hôtel réparties en Ile-de-France) et qui produisent des effets préjudiciables à la santé des enfants. Autre urgence, l’augmentation de la production de logements sociaux et très sociaux afin que les plus modestes puissent se loger dignement. À Paris, plus de 110 000 logements sociaux ont été construits depuis 2001. Si la volonté politique existe, elle produit des effets.  

Comment renforcer l’accompagnement des personnes en grande précarité ? 

À Paris, nous avons eu la volonté politique de développer des Pensions de famille dans tous les arrondissements de la capitale. Ayant initié la création de ces lieux de vie lorsque j’étais secrétaire d’État entre 2002 et 2004, je suis fière de dire qu’il en existe aujourd’hui plus de 1000 en France qui accueillent plus de 22 000 personnes. C’est une vraie réponse pour sortir de l’exclusion. À Paris, il y a 70 Pensions de famille, qui offrent 1574 logements.  Nous avons mis également mis en place le dispositif « Louez solidaire » qui a permis à 232 familles de sortir de l’hôtel entre 2021 et 2023. Avec mon équipe, nous avons l’habitude de qualifier Paris de « ville refuge » au sens où nous croyons que l’accueil digne et le logement social sont un levier fondamental de justice sociale. Nous attendons de l’Etat qu’il développe la politique du logement qui est actuellement insuffisamment dynamique. 

« Quels qu’aient été les postes et les fonctions que j’ai occupés, je n’ai jamais tremblé face aux hommes et aux femmes de pouvoir… qui ne comprenaient pas toujours mon obstination à défendre sans relâche les plus exclus, les exilés, les femmes ballotées ici et là avec leurs enfants. »