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Handicapés et mal logés : une vie de combat

548 000 personnes handicapées sont mal logées (Fondation pour le Logement, 2025)

« Quand je vais aux toilettes, je dois laisser la porte ouverte. Il faut que je me téléporte pour les atteindre. Pour être honnête, je passe un maximum de temps dans ma chambre, je n’ai pas le choix. » Nikita, 28 ans, vit à Perpignan chez un ami. Depuis plusieurs mois, elle est hébergée à droite, à gauche ; pas d’autre solution. « Moi, je suis faite pour vivre à la campagne. J’étais bien sur mon terrain, avec ma caravane, près de Céret. Mais, avec le fauteuil, ce n’était plus possible. » Nikita est atteinte de fibromyalgie, mal chronique qui touche les muscles et les articulations. Elle a été diagnostiquée il y a 2 ans, après des années d’examens et de soins. « Malgré les douleurs, j’ai continué à travailler en restauration, jusqu’à l’été dernier. Mais la saison estivale a été dure, cela m’a valu un mois ½ d’hospitalisation, mes jambes ne suivaient plus. » À sa sortie, le verdict tombe : le fauteuil roulant devient obligatoire. « Il n’y a pas de traitement, les médecins me disent que je ne marcherai plus. Moi je me dis que si. » Nikita s’accroche à cet espoir pour affronter le quotidien. « Comme je suis asthmatique, entre les médicaments anti-douleurs et le traitement pour l’asthme, j’ai plus de cachets à 28 ans qu’une personne âgée. C’est dur pour le moral. » La jeune femme vit pour l’instant dans un appartement très humide, où il y a beaucoup de moisissures. « Avec mon asthme, ce n’est pas évident. Et puis, je ne peux pas sortir seule de l’appartement, il y a une marche qui me bloque. Et de toute façon, dehors, c’est compliqué aussi. » Difficile de faire ses courses dans les magasins alors que la plupart ont une marche palière, d’aller au restaurant ou au cinéma : « Le seul qui est accessible aux personnes handicapées est en dehors de la ville et le bus qui y va n’a pas de plateforme pour les fauteuils. » Alors, Nikita sort le moins possible, assignée à résidence.

Un isolement subi qui peut parfois prendre des proportions sidérantes, comme le raconte Eric, 52 ans, atteint de la polio depuis tout petit. « J’ai fui le Gabon en 2020 et je suis arrivé à Metz. Je suis logé en Centre d’Accueil pour Demandeur d’Asile. Honnêtement, l’ascenseur est en panne tous les quinze jours. Une fois, je suis resté cloîtré pendant 3 semaines… des amis valides m’apportaient à manger.  Aujourd’hui, nous sommes 6 personnes handicapées logées ici et c’est vrai que la société de maintenance intervient plus rapidement désormais... ». 

Dans son 30e rapport annuel sur l’État du mal-logement en France, la Fondation pour le Logement des Défavorisés soulignait que sur les 1,5 million de ménages touchés par des pannes d’ascenseurs en 2013, près de 300 000 comprenaient une personne en situation de handicap, leur causant un préjudice particulièrement grave. Comme Nikita, Eric garde espoir, malgré des conditions de logement inadaptées qui ralentissent ou bloquent chacun de ses gestes, jour après jour. « Dans mon logement, seules les prises sont à la bonne hauteur. Pour cuisiner, je dois tendre les bras et dans la salle de bains, le lavabo est trop élevé. Dans la douche, les barres d’appui ne sont pas au bon endroit. Je ne peux pas atteindre les cintres dans l’armoire et mon lit est trop haut. »

Vivre comme tout le monde

Nikita s’est récemment décidée à remplir son dossier pour obtenir l’Allocation Adulte Handicapé. « C’est vraiment dur d’accepter cette vie en fauteuil, mais avec le RSA comme seule ressource, c’est impossible de trouver un logement à Perpignan, encore moins adapté au handicap. » C’est l’assistante sociale qui a réussi à convaincre Nikita de faire sa demande d’AAH, pour tenter d’obtenir un appartement médicalisé. « Mais c’est long, il manque toujours un papier et c’est très fatigant pour moi de me déplacer à chaque rendez-vous… j’aurais tellement voulu rester dans ma campagne ! » 

Alors que la loi sur le handicap fête cette année ses vingt ans, force est de constater que pour les 12 millions de personnes déclarées elles-mêmes handicapées, le quotidien reste un véritable parcours du combattant qu’il faut affronter seul ou avec ses proches. « Si l’on compte les aidants, on atteint le chiffre de 20 millions de personnes concernées », précise Pierre-Yves Baudot, chercheur et professeur de sociologie à Paris-Dauphine : « Le handicap reste globalement invisible dans notre société et de ce fait, il est très peu considéré par la puissance publique, à l’extérieur et à l’intérieur du logement. Les logements PMR devraient être dédiés à des personnes PMR, ce qui n’est pas toujours le cas. Et que ces logements soient certifiés par une instance indépendante, pour éviter que certains labellisés comme tels ne soient accessibles qu’après avoir franchi une ou deux marches… Il faudrait aussi que tous les types de handicap, notamment l’autisme, soient aussi pris en compte. Enfin, il faudrait abroger l’article 64 de la loi Elan… » Alors que la loi Handicap de 2005 rappelait l’objectif d’accessibilité de tous les logement neufs – un objectif déjà présent dans la loi de 1975 - la loi Elan de 2018 a réduit l’obligation de logements accessibles de 100 % à 20 % dans les nouveaux logements. Quant au parc ancien, privé ou public, le nombre de logements adaptés ou rénovés pour être accessibles, est lui aussi très limité, les coûts d’adaptation pouvant atteindre 30 000 euros et faisant intervenir jusqu’à 7 corps de métier différents.

À Paris, Anissa, accompagnée par l’Espace solidarité habitat (ESH) a dû refuser 4 logements proposés par son bailleur, tous inadaptés à son handicap ou à la composition de la famille. « Madame vit dans le XIXe arr, dans un 65 m2 insalubre avec ses deux enfants. Les travaux de rénovation dans le logement qu’elle occupe depuis 2010 étaient annoncés dès 2016, et n’ont été qu’en partie réalisés… en 2022. » S’il n’y a plus de plomb, d’autres désordres s’accentuent, notamment les moisissures dans les chambres, « et le logement reste toujours inadapté au handicap », précise Samia, chargée de mission à l’ESH, qui a obtenu fin février l’accord du bailleur pour des travaux en urgence avec un relogement temporaire et le caractère prioritaire de la demande de logement adapté. 

De la rue au logement

Un parc de logements encore loin d’être accessible et adapté, une reconnaissance de toutes les formes de handicap qui reste limitée et une société où les personnes handicapées sont trop souvent reléguées à la vie « en institution»… malgré ce sombre tableau, des associations luttent pour favoriser l’accès au logement des personnes handicapées.

Direction les Pyrénées-Orientales, dont Steve est tombé amoureux il y a 20 ans.  Après un long parcours de rue, il raconte son histoire avec le sourire dans la voix. Ce Normand d’origine a toujours vécu de petits boulots, dans l’agriculture ou le bâtiment. Et puis survient le drame, il y a 5 ans. « Je suis tombé de 3 étages. Un poumon décollé et le bassin cassé. Je ne peux plus rester debout plus de 10 minutes. » Accompagné par l’association perpignanaise « Caarud Ascode » qui l’a incité à faire une demande de logement social il y a deux ans, il vit désormais dans un logement adapté, à Piat, dans une résidence ouverte en septembre dernier. « J’ai un petit balcon accessible en fauteuil, c’est important car j’aime être dehors. J’ai une douche à l’italienne, les portes de l’appartement sont larges et les prises à ma hauteur. Il y a un ascenseur et une porte automatique pour sortir de l’immeuble. Ma vie a complètement changé. Je sais la chance que j’ai, des logements comme ça, il n’y en n’a pas beaucoup. En plus, avec mon chien, ça compliquait les choses. » Steve touche l’AAH et les APL, ce qui lui a permis de s’installer sereinement dans ce logement de 49 m2, même si les premiers mois ont été difficiles. « Les premières factures, les achats chez Emmaüs… Steve s’est impliqué dès le début, il avait même économisé quand il était encore dans la rue pour payer son 1er loyer. 

Nous le suivons depuis 8 ans et son entrée dans le logement est une vraie réussite, il est très épanoui. Il ne se sentait plus du tout en sécurité dans la rue depuis son accident », note Julie Dutoit, intervenante Equipe Mobile à l’association « Joseph Sauvy » financée par l’Agence régionale de la santé (ARS). « 20 % des personnes que nous accompagnons sont bénéficiaires de l’AAH ; Il n’y a pas que le handicap moteur, le handicap psychique est très présent chez les personnes en errance et il fait peur aux bailleurs. Notre mission, c’est d’accompagner le public vers le soin de soi et les aider à retrouver leur dignité. Les accompagner dans le logement en fait partie et c’est vrai que le cas de Steve est une belle histoire. » Aujourd’hui, quand Steve sort de chez lui, on lui pose souvent la question : « Vous allez bien ? On ne vous voit plus ! » et il répond fièrement : « Normal, puisque maintenant j’ai un appartement ! »

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